Par Joakim Lemieux, Coalition montréalaise des Tables de quartier.
Situé entre l’avenue Souligny au nord, les installations du Port de Montréal au sud, la gare de triage Longue-Pointe CN à l’ouest et l’autoroute 25 à l’est, le secteur Assomption-Sud─Longue-Pointe subira d’importantes transformations dans les prochaines années. La Ville de Montréal souhaite en faire un Écoparc industriel de la Grande Prairie « aux aménagements urbains exemplaires qui contribueront à attirer des entreprises dynamiques soucieuses de leur milieu d’accueil et engagées dans une démarche de gestion durable en partenariat avec la collectivité. » Pour ce faire, on a confié un rôle de premier plan à Mercier-Ouest Quartier en santé : celui de piloter le comité de milieu, l’espace où se croisent les idées et préoccupations des citoyen∙nes, des entreprises et des institutions.
Un secteur marqué par des défis de cohabitation
En 2016, 3470 personnes vivaient sur ce territoire, et plus de 7200 travailleurs et travailleuses s’y rendaient quotidiennement. Le territoire compte une cinquantaine d’entreprises et industries principalement issues des secteurs de la logistique et de l’entreposage. On y retrouve également une base militaire et quelques entreprises de l’administration publique (Hydro-Québec, SAQ). Historiquement, le territoire a toujours été partagé entre une diversité d’usages, entre le résidentiel et l’activité industrialo-portuaire. Au tournant des années 2000, le développement de ce secteur s’est davantage orienté vers sa vocation industrielle, avec l’idée d’en faire une Cité de la logistique. Les enjeux de cohabitation avec les milieux résidentiels sont devenus plus importants.
La qualité de vie des résident∙es vivant à proximité des secteurs industriels est affectée par plusieurs nuisances, dont le bruit, la pollution atmosphérique, la poussière, les odeurs et la congestion routière. Pour les résidents de Guybourg et Longuepointe, deux secteurs particulièrement enclavés et sujets à une Revitalisation urbaine intégrée (RUI), l’accès aux commerces de proximité et à différents services est aussi particulièrement réduit.
Qu’est-ce que la Revitalisation urbaine intégrée?
« La revitalisation urbaine intégrée (RUI) est une approche qui vise à établir un diagnostic des secteurs défavorisés sur un territoire, puis à identifier des actions prioritaires et structurantes pour leur milieu. La RUI vise l’amélioration des conditions socioéconomiques des habitants du secteur visé, ainsi que l’amélioration des conditions physiques et environnementales de leur milieu de vie, par le moyen d’interventions ciblées et concertées avec la communauté. » À Montréal, ce sont principalement les Tables de quartier qui ont le mandat d’intervenir dans ces zones.
Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation / Photo : Frédéric Hountondji/Métro Média
Une autre particularité d’Assomption Sud─Longue-Pointe, ce sont ses nombreux terrains en friche, qui représentent autour de 20% des 333 hectares du secteur. Comment redévelopper ces espaces ouverts pour à la fois répondre aux besoins des résident∙es et des entreprises? Et comment y insuffler une identité propre au territoire?
« C’est un lieu d’opportunité immense », croit Kevin Poitras de Mercier-Ouest Quartier en santé.
Dans le processus menant au développement de l’Écoparc industriel de la Grande Prairie, on souhaite tenir compte du tissu social en place, d’intégrer les préoccupations citoyennes dans son réaménagement. Cette volonté de concertation distingue cet écoparc industriel des autres projets de ce type dans le monde.
Qu’est-ce qu’on entend par « écoparc industriel »?
L’Observatoire des milieux de vie (ESG UQAM) a dénombré et cartographié 134 écoparcs industriels à travers le monde. Ceux-ci détiennent les caractéristiques principales suivantes :
- L’établissement de cibles de développement durable concernant les bâtiments et le cycle de production.
- La volonté de gérer les ressources naturelles de manière plus efficace et responsable.
- Une approche écosystémique de la gestion des flux industriels (matériaux, énergie, déchets, eaux usées) à travers des réseaux d’échange et de collaboration entre les entreprises.
- L’optimisation des bénéfices communs pour les collectivités locales.
Info et photo : Fiche OMV
Entretenir le dialogue dans un contexte polarisé
Le comité de milieu que coordonne Kevin Poitras de Mercier-Ouest Quartier en santé, c’est un espace privilégié d’échanges entre la grande diversité d’acteurs qui vivent ou transitent sur le territoire : citoyen∙nes, industries, entreprises, institutions, représentant∙es politiques. C’est un lieu ouvert où toutes les parties prenantes qui le souhaitent peuvent apporter une contribution. La communauté a l’occasion de s’y exprimer sur une base régulière. Depuis un an, on s’est rencontré plus d’une fois par mois, et la participation oscillait entre 65 et 300 personnes.
« Le fait que tous soient rassemblés autour de ces questions-là (cohabitation, transition écologique, verdissement, mobilité, etc.) ça permet d’aligner les besoins de la main d’œuvre avec les besoins des résident∙es » explique Kevin.
Ainsi, la concertation a permis de faire ressortir des préoccupations communes. La qualité de l’air et la pollution sonore, le verdissement, l’amélioration de la mobilité et une plus grande offre de commerces et de services : tous et toutes s’entendent pour dire que d’agir sur ces priorités aura des effets bénéfiques pour l’ensemble des personnes qui vivent ou travaillant dans le secteur.
Toutefois, de regrouper autant de personnes issues de champs différents n’est certes pas chose aisée : les discussions sont parfois longues et ardues; les visions, opposées. On n’a qu’à penser, à titre d’exemple, à toute la grogne citoyenne entourant le projet Ray-Mont Logistiques. « Il faut arriver, en travaillant avec tout le monde, et non pas en opposition, à des solutions concertées. Il faut arriver à maintenir, dans un contexte de fracture sociale, une paix sociale relative dans le dialogue. Et ça a été une grande part de notre travail, je trouve. »
Kevin est aussi persuadé que la complexité du milieu et de la démarche de concertation qui en découle est porteuse d’innovation : « On a là des parties prenantes extrêmement diverses. C’est le principal défi et en même temps, la plus grande qualité. Si on avait à se concerter qu’avec des gens avec lesquels on est d’accord ou qui ont des pratiques qu’on apprécie, on n’aurait pas à se concerter longtemps. » Lentement, mais sûrement, croit Kevin, on travaille sur les consciences de part et d’autre.
« C’est comme ça qu’on fait bouger l’aiguille. Il y a de l’innovation dans la mesure où des acteurs qui n’étaient pas conscients des enjeux socioécologiques le deviennent et des citoyens qui ne participaient pas à cette vie collective-là ou qui n’étaient pas inscrits dans le développement de ce type de projet-là, le deviennent aussi. »
Les Tables de quartier : des actrices incontournables du développement territorial
Le développement de l’Est de Montréal, avec l’arrivée du REM, notamment, attire beaucoup l’attention. Pour Kevin, les Tables de quartier de l’Est doivent être au cœur de ces discussions : « Les Tables de quartier doivent se donner cette ambition-là, parce qu’il y a des transformations majeures qui s’en viennent dans le territoire » juge Kevin.
« Le développement économique va devoir être un développement intégré. Spécialement s’il y a des objectifs de densification du territoire là-dedans » ajoute-t-il. Les Tables de quartier ont cette possibilité de porter la voix des communautés et de ramener le développement social dans le débat.
Et il en va de même avec les efforts à faire pour la transition socioécologique. De nouveaux acteurs doivent entrer dans la discussion, pense Kevin, « car il faut arriver à faire bouger l’aiguille au complet, ensemble. C’est ainsi qu’on va cultiver une ville habitable. »
Une des fiertés de Kevin dans tout son travail autour d’Assomption-Sud─Longue-Pointe, ce sont les nouveaux partenariats que la Table de quartier a développés avec des joueurs importants du développement territorial. Grâce à la présence des citoyen∙nes sur le comité de milieu qui se sont exprimé∙es sur tout un lot d’enjeux, la qualité de vie pour les secteurs résidentiels a été mise de l’avant, a été intégrée à la question du développement d’une zone d’emploi. « C’est le grand pas qu’on a fait en avant », juge Kevin.