Par Joakim Lemieux, Coalition montréalaise des Tables de quartier.
Entrevue avec Sol Engmann de l’Épicentre Saint-Henri.
Dans l’ouest de Saint-Henri, particulièrement à l’ouest de la Rue de Courcelle, il est particulièrement difficile de se procurer des fruits et légumes frais à prix abordables. C’est aussi le secteur le plus défavorisé du quartier, avec 42 % des ménages qui consacrent 30 % et plus du revenu au loyer. Depuis 8 ans, la Table de quartier CDC Solidarité Saint-Henri y déploie des mini-marchés, une solution éphémère à ce désert alimentaire. Mais les résident·es voyaient plus grand : ils et elles souhaitaient un lieu permanent, une épicerie solidaire qui serait aussi un espace d’échange et d’engagement citoyen.
Après plus de deux ans de travail, l’Épicentre Saint-Henri prend forme : le vendredi 26 février dernier a eu lieu la première commande en ligne, avec livraison aux portes de l’Église Saint-Zotique, pour respecter les consignes sanitaires. Cette première commande a fait 34 familles heureuses dans le quartier.
La vision du quartier
C’est en 2018 que Solidarité Saint-Henri a mis sur pied le comité épicerie auquel participe une vingtaine de résident·es de manière continue, et une dizaine d’autres occasionnellement. Les membres du comité se sont entendus sur une vision du projet qui dépasse celle d’une simple épicerie : « Les résidents étaient très insistants sur le fait qu’ils voulaient un projet en autonomie alimentaire, et pas en sécurité alimentaire » explique Sol. « Ils ne voulaient pas avoir de quoi juste remplir la faim, mais voulaient le faire dans la dignité, avoir un choix, avoir un lieu vivant. Parce que pour eux, tout ça, ça influence la qualité de vie, en fin de compte. » . C’est pourquoi l’Épicentre Saint-Henri sera éventuellement doté d’une cuisine communautaire, d’un café et d’une offre d’ateliers ouverts à tous et toutes.
« Les résidents étaient très insistants sur le fait qu’ils voulaient un projet en autonomie alimentaire, et pas en sécurité alimentaire » explique Sol.
Pour le comité épicerie et pour Solidarité Saint-Henri, il est important que ce ne soit pas uniquement l’accessibilité financière qui soit prise en compte, mais aussi l’accessibilité en matière de « profil social », précise Sol. On souhaite y accueillir tout le monde, et pas uniquement les personnes qui vivent une certaine précarité. Cette volonté a donné lieu à de nombreuses discussions au sein du comité, notamment sur le choix des produits, mais aussi des mots et de l’image utilisés pour présenter l’épicerie. On ne veut assurément pas en faire un agent d’embourgeoisement du quartier, mais on souhaite que les personnes plus aisées aient aussi envie d’y venir faire leurs emplettes. À l’inverse, on souhaite que les personnes dans le besoin puissent magasiner à leur aise dans un lieu qui ne ressemble pas à une banque alimentaire.
On souhaite également que cette épicerie se retrouve au centre d’un réseau en alimentation dans le quartier. « On veut que ça réponde à une diversité de demandes et de besoins, et en même temps que ça fasse aussi le lien entre les autres projets en agriculture urbaine, en gaspillage alimentaire, le lien avec les commerçants, les restaurateurs dans le quartier » explique Sol. C’est notamment grâce à ce réseautage que l’Épicentre Saint-Henri pourra s’approvisionner en aliments bios de qualité qu’il pourra vendre à faible coût à sa clientèle.
« On veut que ça réponde à une diversité de demandes et de besoins, et en même temps que ça fasse aussi le lien entre les autres projets en agriculture urbaine, en gaspillage alimentaire, le lien avec les commerçants, les restaurateurs dans le quartier » explique Sol.
Vers un OBNL en alimentation
Après de nombreuses discussions et analyses, le comité épicerie de Solidarité Saint-Henri a choisi de se tourner vers la création d’un organisme à but non lucratif. Pour être en mesure d’offrir des aliments au prix presque coûtant sans devoir compter sur la vente d’autres produits qui ne correspondent pas aux valeurs du projet (cigarettes ou bières, par exemple), on doit pouvoir bénéficier d’un financement récurrent.
« Si on a un financement à la mission qui couvre une partie des coûts des opérations, on n’est plus obligé de faire un profit, ça nous enlève tout ce stress-là, et on peut vraiment aller à la source du problème et offrir des fruits et légumes abordables pour tout le monde à Saint-Henri. Et leur offrir un choix de qualité. »
Pour Sol, trouver un local à un prix raisonnable faisait aussi partie de la solution, ce que Solidarité Saint-Henri a réussi en négociant une entente de 10 ans avec l’Église Saint-Zotique.
Pour l’instant, l’Épicentre est en période de structuration; ce sont les employé·es de la CDC Solidarité Saint-Henri qui y travaillent pendant cette transition. On souhaite tenir l’assemblée de fondation ce printemps pour une ouverture cet été, en « présence ». La crise sanitaire a toutefois précipité la mise en place d’un des volets de l’Épicentre, soit la banque alimentaire. « Deux semaines après le début du confinement, on avait une banque alimentaire opérationnelle qui n’existait pas avant », raconte Sol. Ce sont 4400 paniers alimentaires qui ont été remis pendant les premiers 8 mois d’opération, signe que les besoins sont importants dans ce secteur.
D’ici l’ouverture officielle de l’Épicentre, les Henriçois et Henriçoises peuvent faire leur épicerie en ligne, mais Sol a bien hâte de pouvoir leur offrir « une vraie épicerie où tu peux entrer et où tu peux toucher toutes les pommes jusqu’à ce que tu trouves celle que tu aimes! ».
La participation citoyenne au cœur du projet
Pour Sol, une des grandes réussites du projet, c’est de l’avoir conçu avec les résident·es du quartier. « On s’est rendu là par prise de décision par consensus avec les résidents. On était tous des gens qui n’avaient jamais fait ça dans notre vie. Et des fois, c’était ardu, mais on a réussi. »
À Solidarité Saint-Henri, on fait le pari que l’engagement des résident·es dans toutes les étapes du projet, de sa conception jusque dans son opérationnalisation, sera garant de son succès. Si l’on se fie à la popularité des mini-marchés qui attiraient en moyenne 40 client·es à chaque fois, le besoin y est et le bouche-à-oreille est efficace pour faire connaître l’existence de ces initiatives.
« Ça répond à un besoin qui a été exprimé par les résidents, et quand c’est un projet dans lequel les résidents sont impliqués, ça fait en sorte que la nouvelle se propage vite. »
C’est d’ailleurs le conseil que Sol veut offrir aux Tables ou aux milieux qui souhaitent démarrer un tel projet : « Il faut se fier à l’expertise de sa population. On aurait pu développer quelque chose bien plus vite, entre “nous”, mais ça n’aurait pas été la chose dont le quartier avait besoin, ça n’aurait pas eu les mêmes racines dans le quartier. »
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