Par Virginie Frobert et Joakim Lemieux.
Pendant que Québec et Ottawa s’empêtrent dans une guerre de statistiques autour des personnes demandant l’asile, dans les quartiers montréalais, on s’active pour les accueillir dignement. Pour offrir une aide concertée à ces personnes de plus en plus nombreuses sur leur territoire, la table de quartier Solidarité Ahuntsic et ses partenaires ont créé le CALDA, le Comité d’accueil local des personnes demandant l’asile.
À table avec… Peguy Flore Pierre, coordonnatrice du CALDA et Agathe Girka, responsable du développement communautaire et de la planification stratégique à la Table de quartier Solidarité Ahuntsic.
Une communauté réactive
L’arrivée importante de personnes demandant l’asile dans Ahuntsic et Bordeaux-Cartierville, comme dans de nombreux quartiers à Montréal, préoccupe énormément les organismes communautaires. Ceux-ci sont aux premières loges pour constater la détresse humaine et les traumatismes occasionnés par les parcours migratoires difficiles, mais n’arrivent pas toujours à offrir tout le soutien dont ces personnes ont besoin. En novembre 2022, dans le cadre d’une assemblée générale de la table de quartier, l’idée d’une concertation autour de la question de l’augmentation des personnes demandant l’asile est lancée. Une organisatrice communautaire du CIUSSS et une représentante du BINAM (Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal) invitent les partenaires de la table à créer cet espace. La réponse du milieu est rapide, signe que les besoins sont urgents et immenses. Dans les mois qui suivent, on tient une conférence de presse, on consolide les liens avec les organisations de Bordeaux-Cartierville afin de réellement créer un regroupement interquartiers et on se dote d’un plan d’action. Un financement dans le fonds d’urgence de Centraide permet d’embaucher Peguy Flore Pierre à la coordination dès juillet 2023.
Objectifs du CALDA :
- Concerter les efforts, ressources et connaissances pour faire face aux défis spécifiques et complexes inhérents à l’accompagnement des personnes et familles demandant l’asile;
- Alléger la charge des intervenant·es;
- Travailler avec les organismes qui agissent auprès des personnes demandant l’asile pour la mise en commun de ressources;
- Mettre en place des actions concrètes pour tenter de pallier les trous et fractures de services pour ces personnes;
- Orchestrer des plaidoyers collectifs sur des enjeux spécifiques aux personnes demandant l’asile et sur les pressions exercées sur le milieu communautaire.
Créer de la solidarité pour résoudre un enjeu complexe
Avec le CALDA, on croit pouvoir à la fois mieux soutenir les personnes demande l’asile et les organismes qui les aident. Pour les personnes demandant l’asile, le CALDA assure un meilleur référencement puisque les ressources disponibles sont partagées au sein de la concertation et la liste est mise à jour régulièrement. Pour les organismes, le CALDA souhaite devenir un espace d’échanges et de réseautage sur les questions qui concernent les personnes demandant l’asile. On a par exemple développé un espace de discussion entre intervenant·es avec un centre de psychologie, et des formations pourraient aussi être offertes.
La mise sur pied rapide de ce comité est un exemple concret de l’efficacité des Tables de quartier comme structure pouvant offrir rapidement des réponses aux besoins émergents des communautés. Le fait que Solidarité Ahuntsic porte et pilote ce comité allège le travail des organismes, assure une certaine neutralité dans le processus, tout en déployant un soutien dans l’ensemble des deux quartiers (Bordeaux-Cartierville et Ahuntsic). Sur un enjeu aussi complexe, la concertation apparaît comme une clé : en facilitant la circulation d’informations et en renforçant les liens de confiance entre les partenaires, elle rend le terrain fertile pour y voir germer des projets collectifs porteurs.
Défis et souhaits pour l’avenir du CALDA
Comme dans toute concertation, le maintien de la mobilisation dans le temps est un défi. Dans les prochaines années, on cherchera à susciter un engagement plus fort de la part des participant·es pour aller au-delà de l’écoute et de l’échange sur les réalités vers de réelles collaborations entre organismes. L’insuffisance des ressources financières des organismes communautaires et le roulement important de personnel rendent cet engagement parfois plus difficile. Le portrait des personnes demandant l’asile est toujours changeant, la concertation se doit de rester flexible, de s’adapter aux nouvelles réalités du terrain et de dégager des solutions innovantes. Travailler en « interquartiers » représente aussi un défi : comment s’assurer que les projets sont développés de manière équitable sur les deux territoires malgré leurs différences?
Malgré ce contexte particulier, les accomplissements du CALDA en un peu plus d’un an d’existence sont impressionnants. Des organismes qui n’avaient jamais collaboré ont été mis en relation. Le comité a renforcé les liens entre Bordeaux-Cartierville et Ahuntsic et leur offre de nouvelles possibilités de trouver des solutions communes à des enjeux partagés. De plus, le profil des organismes qui participent est très diversifié, ce qui permet un regard plus global sur la situation des personnes demandant l’asile et leur prise en charge.
Pour la suite des choses, le CALDA souhaite consolider sa structure et son financement, travailler sur des plaidoyers, et réfléchir à un possible élargissement des personnes à qui l’on souhaite diriger le soutien, pour prendre en compte d’autres populations à statut précaire. Éventuellement, le CALDA pourrait devenir une organisation autonome, mais jusqu’à maintenant, les partenaires sont satisfait·es du comité de coordination qui a été mis en place et ont confiance en sa capacité à mettre en œuvre le plan d’action.
Quelques conseils de la part de Solidarité Ahuntsic pour les Tables de quartier souhaitant accueillir dignement les personnes demandant l’asile :
- S’entourer des ressources du milieu, avoir une vision intersectorielle, créer des liens avec les institutions et les partenaires-clés.
- Rester à l’écoute des besoins des partenaires et se tenir informé·es de l’évolution de la situation.
- Participer à des rencontres interquartiers à l’échelle montréalaise (comme celles organisées par la CMTQ) afin d’avoir une vision d’ensemble et partager les bons coups et les défis avec d’autres milieux.
- Prendre le temps de se ressourcer, prendre un pas de recul à l’occasion.
- Comprendre qu’il s’agit d’un marathon et non d’un sprint avec les personnes demandant l’asile ou toute population à statut précaire.
- Avoir un esprit créatif et innovant.